La solution mise en place par Phytorestore a consisté à isoler tout d'abord le site puis à curer les différents points de pollution, avant de traiter l'ensemble par phytorestauration. (Doc. DR.)
Technique de restauration écologique des ressources, les plantes éliminent la plupart des polluants en autorisant des économies de 50 à 70 % par rapport à des solutions classiques « dures ». Un seul impératif prévaut : anticiper.
«Si les problèmes de pollution des friches industrielles et autres décharges avaient été pris en compte dix ans plus tôt, la plupart de ces sites seraient aujourd'hui dépollués car les coûts sont supportables », affirme Thierry Jacquet, fondateur et dirigeant de Phytorestore (anciennement Site et Concept). Son propos illustre le formidable potentiel de ces solutions vertes. La seule condition étant précisément de disposer de temps. En effet, trois ans minimum (une année d'installation et deux de traitement) sont nécessaires pour éliminer, par préverdissement, les pollutions diffuses biodégradables, comme les hydrocarbures légers, qui constituent 60 à 70 % des polluants. Les 30 % restants, qui sont en général concentrés dans des poches très localisées peuvent ensuite être traités par lixiviation, pour les polluants lessivables, comme les métaux lourds. Les 10 % de polluants non destructibles peuvent être au final séquestrés in situ, toujours par l'intermédiaire de plantes, ou transférés dans une zone de stockage ex-situ. Réalisée par Phytorestore, la réhabilitation douce, sur une ancienne décharge d'ordures ménagères, à Amiens (80), représente un bel exemple d'application sur lequel la plupart des solutions proposées par la société ont été mises en œuvre.
Le site de 26 hectares, qui se situe entre des grands ensembles (Etouvie) et un ancien village (Montières) - ouvert en 1946 et exploité jusqu'en 1970 - avait fait l'objet d'un premier diagnostic concluant à une obligation de surveillance sans besoin de traitement lourd. Des résultats qui furent remis en cause lorsque la commune fit part de son souhait de transformer la zone en vue d'y créer une base de loisirs ainsi qu'un camping quatre étoiles en périphérie. Les nouvelles études ont alors mis en évidence la nécessité d'un traitement de réhabilitation beaucoup plus lourd.
Une triple pollution air, sol, eau
Les six campagnes d'investigations (170 sondages et prélèvements), réalisées sur le site, ont montré une pollution en profondeur des sols - hydrocarbures, fermentation méthanique active avec production de biogaz -, la présence d'odeurs d'hydrocarbures ainsi que de biogaz intermittents et de composés au niveau de l'air (H2S, NOx, CO, CO2, CH4), et enfin une pollution des eaux avec des lixiviats riches en sel (14 g/litre dus au dépôt de produits de salage des routes), ainsi que des teneurs élevées en cuivre et zinc (mais les métaux étaient peu disponibles du fait d'un pH globalement basique du site). L'objectif était donc d'éliminer totalement les sources de pollution ainsi que ses impacts sur la nappe et les milieux humides environnants, tout en restaurant les ressources. Il s'agissait aussi de supprimer les risques d'explosivité (en diminuant les fermentations méthaniques) et les problèmes de nuisances olfactives.
La solution retenue a consisté à isoler tout d'abord le site puis à curer les différents points de pollution, avant de traiter l'ensemble par phytorestauration.
Dans la pratique, un couvercle continu de 1,50 à 2 m d'épaisseur - constitué de matériaux inertes de faible perméabilité - a été mis en place, afin de limiter les contacts directs avec les déchets ménagers enfouis, ce « reprofilage » léger permettant aussi de réduire les infiltrations d'eaux pluviales, donc les percolations et les lixiviats. Un écran périphérique étanche - obtenu par injection de béton sur 4 m de profondeur - a parallèlement été réalisé afin de limiter les phénomènes de fuites hors de l'enceinte du site. Au niveau de l'air, un réseau de drainage et de récupération des biogaz a été implanté sous les aires étanchées.
«Biofermes de lavage des sols» : une solution à étudier
Une fois les travaux de curage (couplés avec des opérations de criblage des matériaux) achevés, une végétation dense a été plantée afin de couvrir l'ancienne décharge. Cette technique de préverdissement génère un processus de biodégradation - grâce à l'activité microbienne générée autour des rhizomes - pour la plupart des polluants organiques légers. Les plantes, exemptes de toute pollution, pouvant donc être ensuite fauchées et récoltées afin d'être utilisées comme compost ou en tant que combustible dans les chaudières à biomasse.
Les écoulements superficiels ont quant à eux été traités par le biais de fossés et de bassins plantés. Ces ouvrages éliminent par phytolixiviation les principaux polluants non biodégradables.
L'eau circule en effet à travers un réseau de canaux et de plantes filtrantes, avec des temps de séjour soigneusement calculés, les écosystèmes artificiels assurent alors le piégeage des polluants. Précisons que cette solution pourrait être développée en créant des « biofermes de lavage des sols », installations dans lesquelles les matériaux pollués pourraient être acheminés pour un traitement ex-situ.
« Une alternative économique et écologique aux centrales d'incinération ou aux sites d'enfouissement », estime Thierry Jacquet. Une solution d'ailleurs étudiée avec intérêt, car le facteur temps rend très souvent inapplicable in situ ce genre de technique. « Il faut en effet au minimum entre 1,5 et 2 ans pour appliquer cette méthode douce, des délais incompatibles avec les projets de construction actuels qui doivent démarrer très rapidement ». Quant aux polluants atmosphériques, ils ont été traités par l'intermédiaire de filtres végétalisés. L'air vicié, qui traverse un filtre de tourbe granulaire plantée, franchit un milieu riche en oxygène qui permet, sous l'action des micro-organismes fixés sur le substrat et la rhizosphère des racines, de dégrader les molécules (celles d'H2S sont par exemple transformées en H2O et SO2). L'irrigation forcée du substrat permet de traiter par phytolixiviation les polluants non biodégradables - et éventuellement très toxiques pour les plantes (soufre, arsenic, cyanure) - les polluants inorganiques étant quant à eux séquestrés sous des formes non « biodisponibles » donc non toxiques.