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1. TECHNIQUES Comment utiliser la terre en construction

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1. TECHNIQUES Comment utiliser la terre en construction

À l'école primaire publique de Veyrins Thuellins (38), 24 trumeaux de pisé de 3,20 m de hauteur et 40 à 60 cm d'épaisseur en façade sud régulent les températures et l'hygrométrie des salles de classe et de la cantine. (Architectes M. Stefanova, B. Marielle et V. Rigassi). (Doc. V. Rigassi.)

La terre crue se met en œuvre aujourd'hui dans des conditions très semblables aux modes de construction plus courants. Principal impératif : la protection vis-à-vis de l'eau.

Douze méthodes différentes de construction avec la terre sont inventoriées dans le Traité de construction en terre (1) : terre creusée, recouvrante, remplissante ; découpée, comprimée, façonnée ; empilée, moulée, extrudée ; coulée, garnissante, terre-paille. Leur géographie reflète en partie, parmi d'autres éléments, les caractéristiques locales du sol. Ainsi, le pisé s'est-il imposé dans les régions où la terre est graveleuse, l'adobe là où la proportion d'argile dans la terre est abondante et la bauge là où la terre prend une consistance plastique.

Parmi ces techniques, la bauge (terre empilée), que l'on trouve surtout dans le nord-ouest de la France (Basse-Normandie, Ille-et-Vilaine.) et le torchis (terre garnissante - Normandie, Picardie, Pas-de-Calais et Centre) ont été peu modernisés : le torchis, qui présente de maigres performances thermiques, devrait ainsi rester limité à la restauration. Deux autres techniques en revanche - l'adobe (terre moulée implantée dans le Midi Pyrénéen, en Champagne ou en Auvergne) et le pisé (Rhône-Alpes, Savoie, Midi-Pyrénées et Bretagne Nord) ont évolué ces dernières décennies et leur mise en œuvre se révèle aujourd'hui tout à fait comparable aux habitudes générales du bâtiment. Extraite sous la couche de terre organique, à partir de 20-40 cm de profondeur, la terre à bâtir est issue de la dégradation de la roche mère selon différents processus physiques, chimiques et biologiques. Elle est constituée à la fois d'éléments gazeux (air), liquides (eau, matières organiques en décomposition.) et de solides d'origine minérale. Sa qualité constructive se détermine en fonction de quatre propriétés fondamentales. La granularité (ou texture) est la proportion des grains minéraux de différentes tailles qui la composent : cailloux (plus de 2 cm), graviers (de 2 cm à 2 mm), sables (de 2 mm à 60 µm), silts (de 60 µm à 2 µ et argiles (moins de 2 µ). La plasticité est sa capacité à subir des déformations sans réaction élastique notoire.

Bonne cohésion : aptitude à la construction

La compressibilité définit la possibilité de réduire les vides qu'elle contient, d'augmenter sa densité et donc d'améliorer sa résistance mécanique. Enfin, la cohésion détermine la résistance à la traction et la propriété des particules à rester associées entre elles : elle découle de la quantité et de la qualité des argiles, de leur propension à retenir l'eau, grâce à leur structure particulière en feuillets reliés entre eux par des films d'eau.

En général, toute terre offrant une bonne cohésion est apte à la construction. Cette aptitude se vérifie par une série de tests empiriques portant sur l'aspect, l'odeur, la consistance, la sédimentation. qui visent à apprécier la proportion de sable, de silt (limons) et d'argile. Autre critère, celui de la teneur en eau de la terre. Ainsi, alors que l'adobe, la brique de terre comprimée (BTC), la bauge ou le torchis nécessitent une terre mi-ferme, mi-molle ou molle (teneur en eau de 15 à 35 %), la terre à pisé doit-elle contenir une faible quantité d'eau (de 4 à 10 %) car, étant par nature incompressible, elle empêcherait le compactage. Sa teneur doit être suffisante pour servir de lubrifiant aux grains lors de la compression afin de leur permettre de se réarranger entre eux pour occuper un volume minimal. L'état hydrique du pisé à sa mise en œuvre est dit « humide » : la sensation est humide au toucher, mais on peut tout juste en faire une boule qui, si on la jette par terre d'une hauteur de 1 m, doit se casser en trois ou quatre morceaux. Le meilleur moment pour réaliser le pisé est le printemps ou l'automne, quand le sol contient naturellement la bonne quantité d'eau.

La mise en œuvre du pisé consiste à déverser la terre à l'intérieur d'un banchage, en couches successives de 10 à 20 cm. Le compactage, à l'aide d'un fouloir pneumatique, réduit cette couche à environ la moitié de cette épaisseur. Une fois le haut du coffrage atteint, celui-ci est retiré et replacé plus loin, laissant apparaître une nouvelle portion du mur monolithique. La terre à piser est la seule terre à bâtir qui contienne des graviers et des cailloux : avec les vibrations crées lors du compactage, les grains plus petits (sables, silts et argiles) viennent combler les vides entre les plus gros (cailloux, graviers). La proportion entre les différents composants doit être équilibrée car la quantité d'argile doit suffire pour créer la cohésion et les grains assez nombreux pour que le matériau obtenu soit rigide et ne fissure pas.

Une durabilité de plusieurs siècles

Sur un chantier de pisé, les quantités de terre déplacées sont très importantes et le transport de la terre, de la zone d'extraction au chantier mais aussi, verticalement, au fur et à mesure de l'élévation des coffrages, est l'une des difficultés. Des nouveaux engins à double ou triple fonction permettent de gagner beaucoup de temps, tel le godet-malaxeur, qui permet le tamisage de la terre, son malaxage (par une vis à l'intérieur du godet) et son déversement, en hauteur, à l'intérieur du coffrage. Au lieu d'être excavée sur le site, la terre à pisé peut aussi s'acheter prête à l'emploi à un distributeur (ce qui augmente forcément son empreinte énergétique). Enfin, le pisé peut être préfabriqué et livré en blocs sur le chantier pour être mis en place à la grue, selon un calepinage défini.

La terre crue peut être stabilisée pour augmenter sa résistance à l'humidité et/ou à la compression. Cette stabilisation n'est pas forcément nécessaire : une mise en œuvre dans les règles de l'art, c'est-à-dire notamment avec une bonne protection contre les éléments climatiques (soubassement contre les remontées capillaires et débord de toiture) suffit normalement à protéger un bâtiment du ruissellement. Concernant la résistance mécanique, tous les types de mise en œuvre de la terre crue en tant que structure porteuse résistent à des compressions minimales de 24 bars. À comparer à la descente des charges d'environ 1 à 2 bars pour un R 1. Quant à sa durabilité, des mesures par photogrammétrie de l'érosion de murets exposés depuis 20 ans au climat continental humide, réalisées à l'École nationale des travaux publics de l'état (ENTPE) de Lyon, ont confirmé ce que chacun peut constater par lui-même dans de nombreux pays : la durée de vie du matériau terre crue est de l'ordre de ­plusieurs siècles. Les chercheurs du CRATerre mettent donc en garde contre le recours trop systématique à la ­pratique de la stabilisation à la chaux ou au ciment, qui augmente inutilement le coût du matériau (ainsi que la consommation d'énergie pour la fabrication) et complique sa production en rallongeant les délais. Ils préconisent de ne stabiliser que dans des cas précis : lorsque le matériau est exposé à l'eau (architecture mal conçue ou contraintes d'implantation, comme un terrain humide ou des murs exposés aux ruissellements.) ou besoin d'améliorer sa résistance mécanique. Plusieurs solutions existent à cet effet, notamment des fibres végétales, minérales ou synthétiques, à côté de la chaux ou du ciment.

Bauge : une mise en œuvre rapide

Autre technique monolithique, la bauge, à cause de ses contraintes de séchage et de l'épaisseur nécessaire des murs (40-50 cm), est peu utilisée aujourd'hui, en dehors de la restauration du bâti ancien. Cependant, des réalisations en neuf existent et la technique se prête bien à des murs accumulateurs en fond de serre bioclimatique par exemple, ou en mur de clôture extérieur, très efficace pour l'isolation phonique. En Normandie, on plantait des poiriers en espaliers le long de tels murs, car leur inertie thermique empêchait le gel. La technique est fruste et n'utilise que de l'outillage agricole : des fourchées sont empilées pour former une levée de mur de 60 à 90 cm de haut. Le temps de séchage est d'environ 3-4 semaines en fonction du climat, avant de pouvoir réaliser la levée suivante. Les flancs du mur sont ensuite façonnés à l'aide d'un paroir.

L'aspect final ressemble un peu au pisé. « La mise en œuvre est physique, mais rapide, assure François Streiff, architecte au Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin. Deux ouvriers équipés d'un malaxeur mécanique réalisent quatre levées (soit 3,20 m de hauteur) en quatre jours. C'est comparable au pisé avec fouloir mécanique et deux fois plus rapide que le montage d'un mur maçonné en adobe. » La terre utilisée, argileuse à argilo-sableuse ou argilo-limoneuse est fibrée, en général avec de la paille rigide de blé ou de roseau. En Midi-Pyrénées, pays de l'adobe (20 % du patrimoine existant dans la vallée de la Garonne serait en adobe, la plupart datant des xviiie et xixe siècle), la traditionnelle brique d'argile moulée a été remplacée par la brique de terre comprimée (BTC) et la brique « filée » ou extrudée, notamment pour les contraintes de place pour le séchage qu'elle implique : « Plus aucune briqueterie locale ne fabrique de l'adobe. La seule disponible sur le marché est importée d'Allemagne », assure Alain Marcom (Scop Inventerre), maçon spécialisé dans la terre crue. Les BTC sont une sorte de petit pisé en briques, comprimé par une presse dans un moule. Celui-ci est rempli d'une terre aux proportions équilibrées d'argile, limon et sable. Un bras de levier exerce une forte pression sur la brique puis celle-ci est éjectée. Contrairement à l'adobe, la BTC n'a pas besoin de sécher et elle est immédiatement utilisable après moulage. Les BTC se montent comme des briques classiques, avec du mortier de terre seule, de chaux seule, de terre et chaux ou de terre et ciment. Parfois stabilisées à la chaux ou au ciment et nécessitant alors une cure humide, elles resteront empilées sur une zone de stockage pour favoriser un séchage lent.

Forte croissance de la BTC

« La stabilisation n'apporte pas grand-chose à la résistance mécanique de la brique crue. Nous n'utilisons des briques stabilisées que lorsque le chantier est découvert et qu'il y a risque de pluie », confirme Alain Marcom. Inventées au milieu du xxe siècle, les BTC peuvent être fabriquées dans des briqueteries grâce à des presses industrielles capables de produire jusqu'à 50 000 briques par jour. Mais il est parfois plus pratique de louer une presse légère, au rendement de l'ordre de 300 briques/jour. La BTC est utilisée essentiellement en murs intérieurs, doubles murs isolés par l'extérieur, remplissage d'ossature bois ou montages de cloisons, de masse thermique, pour réguler les températures intérieures et les échanges de vapeur d'eau. « La brique crue connaît une forte croissance, grâce à la demande des particuliers. Il y a cinq ans, une seule briqueterie dans la région fabriquait des briques crues, aujourd'hui, il en existe douze. Avec d'un côté une forte demande, des carrières, des machines et hangars disponibles, et de l'autre la hausse du prix du baril de pétrole et la baisse d'activité de 2009, l'intérêt pour ce produit s'est accru. » assure Alain Marcom

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