© Doc. Balthazar Lab
Les partenariats public-privé [PPP], et notamment les marchés publics de conception, de réalisation et d’exploitation ou de maintenance [Crem], nous interrogent sur la place de l’architecte dans la réalisation des bâtiments et leur devenir. Sans vouloir opposer architecte, bureau d’études, entreprise et maître d’ouvrage, le constat est clair : les missions qui nous sont confiées s’amenuisent et se dispersent. L’architecte voit peu à peu sa fonction de base se réduire, s’appauvrir dans le partage de ses compétences avec des spécialistes qui s’agrègent au projet, dans un assemblage parfois périlleux. D’où une nécessaire défense de la place de l’architecte dans la fabrication du projet.
A l’heure où l’approche environnementale incite à questionner la durée d’un bâtiment, où les certifications et autres labellisations induisent un suivi, bref, à l’ère de la durabilité, la mission de l’architecte doit-elle toujours s’achever à la livraison du bâtiment ? N’est-il pas temps de prolonger nos actions, d’insuffler à notre profession un élargissement de ses compétences ? Ne laissons pas d’autres mener seuls le développement de nos bâtiments et proposons de redevenir le chef d’orchestre d’une mission élargie, dans un temps long, qui s’étend après le chantier.
Imaginons la livraison comme un pivot entre l’avant et l’après, entre un temps d’étude-réalisation et un temps de maturation et d’adaptation du bâtiment à la réalité des programmes et des exigences d’usage. Retrouvons une forme d’humilité par rapport au projet construit et participons à son évolution, en accompagnant son appropriation par les usagers. Malgré le jacobinisme qui oblige au succès systématique, nous osons ici revendiquer le droit, si ce n’est à l’erreur, au moins au doute. Si, outre la garantie décennale, le suivi et l’évolution des bâtiments faisaient partie intégrante du rôle de l’architecte, alors « l’inachevé » pourrait révéler toutes ses qualités, en particulier la place qu’il ménage à l’adaptation et au sur-mesure.
En libérant nos métiers du principe de « l’année de parfait achèvement », par l’instauration de missions de suivi, nous ouvrons la porte à l’innovation dans un travail collaboratif et interdisciplinaire sur le très long terme. Cette innovation porterait sur la prise en compte de la transformation des usages, des programmations et des modes de vie sur le cycle de vie du bâtiment et de la ville. Des outils comme la maquette numérique (BIM) vont dans le sens d’un partage et d’un suivi de l’ouvrage par tous, de sa conception à son appropriation : ne ratons pas cette opportunité de reprendre notre place de chef d’orchestre de l’acte de construire. Les évolutions à venir des partenariats public-privé et d’autres formes de marchés de maîtrise d’œuvre pourraient intégrer une sorte de « service après-livraison », avec un angle plus large, qui dépasse les dimensions énergétique et technique.
En dépit d’un temps de conception toujours réduit, chaque bâtiment peut être considéré comme un prototype. Une prise de risque certaine est nécessaire pour garantir l’innovation. Mais elle sera mieux contrôlée, si elle s’accompagne d’une mission de suivi. Faisons fi des principes de précaution et des abus du droit d’auteur et proposons de revenir sur nos bâtiments, de les modifier, les amender, les réinventer.
A l’heure où tout va très vite, trop vite, prenons le temps de renouer avec le long terme et d’envisager que la mission de l’architecte participe véritablement d’un processus, qu’elle s’inscrive dans la continuité.