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CHRISTOPHE GOBIN est ingénieur et économiste. Il préside le comité d’orientation stratégique «écoconstruction» du pôle Advancity. Il est également conseiller scientifique de l’Institut de transition énergétique Efficacity. Sa démarche s’inscrit dans le développement durable, tant en matière de normalisation que de recherche : il est notamment à l’origine de l’institut de recherche en constructibilité au sein de l’École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie.
HISTOIRE
Dans les années 1970, des procédures ministérielles ont permis de développer des systèmes constructifs industrialisés. Dans quel but ?
La profession était alors préoccupée par l’idée d’industrialisation. Après une longue période de préfabrication, soutenue par un volume de production important, de nouveaux paramètres ont été abordés, sinon pris en compte. Pendant deux décennies, ce qui a motivé de nombreuses études, en particulier dans le cadre du Programme architecture nouvelle (*), se résume à deux questions : comment introduire une diversité architecturale dans un procédé constructif trop souvent considéré comme un modèle répétitif ? et comment concilier la variété des procédés avec la réduction des séries ? Cela a débouché sur l’appel à idées Habitat 88, pour mobiliser l’ensemble des intervenants. Mais, en fin de compte, aucun résultat tangible ni reproductible n’a été obtenu. Constat a été fait qu’il était inutile de privilégier une approche seulement technologique. De nombreuses voies ont été explorées : industrialisation fermée ou ouverte, politique des modèles, composants compatibles… Toutes ont conduit à la nécessité d’une meilleure prise en compte de l’utilisateur final et d’un outil industriel plus flexible, c’est-à-dire mieux adapté à des demandes ponctuelles.
MODULARITÉ
Aujourd’hui, existe-t-il des systèmes modulaires intéressant aussi bien les constructeurs que les architectes ?
Comment concilier un besoin de répétitivité productive avec une grande liberté de conception architecturale ? L’image la plus immédiate est celle du Lego. Cependant, ce n’est pas tant l’idée du module en 3D qui se dégage, que celle d’éléments fonctionnels à valeur ajoutée, entièrement fabriqués en usine. Cette modularité doit passer par une définition enrichie avec l’apport d’une réelle fonctionnalité d’usage garantie par la qualité d’exécution.
MATÉRIAUX
Les matériaux utilisés influencent-ils la nature des systèmes et leur destination ?
Il est intéressant d’observer le déplacement des préoccupations. La prédominance d’un matériau n’est plus de mise ; les difficultés rencontrées résultent d’une monoculture technique. Privilégier un seul matériau s’avère contre-productif. Construire un ouvrage de qualité suppose d’utiliser les matières là où elles présentent le plus d’avantages. Mais, bien sûr, cela suppose un effort pour mieux cerner le cahier des charges et parvenir à une réelle mixité des technologies et, par là même, des capacités productives, voire des compétences.
FAÇADE
Qu’en est-il de l’enveloppe de façade, comme le mur manteau ? Cette technique est-elle surtout réservée à la rénovation ?
Du fait des préoccupations énergétiques, l’accent est dorénavant mis sur la réhabilitation du parc. Mais cela devrait aller de pair avec une production dans le neuf encore plus performante. Si les solutions de façades manteaux se développent assez bien en réhabilitation, ces efforts ne se traduisent pas par une technologie immédiatement transférable pour la construction neuve. Dans une telle situation, aggravée par la nécessité de faire baisser les coûts techniques, l’enveloppe constitue un sous-ensemble fonctionnel « stratégique ». Nous ne disposons pas d’une réelle variété de composants de façades dites « légères », c’est-à-dire industrialisées, performantes et différenciables, du point de vue des textures et des modénatures. Cela est indispensable pour accompagner la mise à disposition de plateaux libres, flexibles et réappropriables selon les besoins. Ce dernier point, plus récent, résulte d’une réflexion sur le développement durable et sur le cycle de vie d’un bâtiment au sein d’un quartier.
BLOCS PRÉFABRIQUÉS
Les blocs préfabriqués de salles de bains et cuisines réapparaissent. Quelles sont leurs particularités ?
Ces blocs « sanitaires », qui correspondent aux équipements hydrauliques d’un bâti, pourraient être considérés comme un retour à la préfabrication. En fait, les moyens de production autorisent désormais des séries plus petites et diversifiées. La question est d’élargir cette approche à d’autres parties d’un ouvrage. Si certains imaginent qu’il suffirait de faire appel à une production informatisée, je pense qu’il faut beaucoup plus que cela. Il est indispensable de réfléchir aux services attendus par l’utilisateur d’un bâtiment et les opérateurs mobilisés (construction, entretien, exploitation).
PRODUITS FINIS
Qu’en est-il des prédalles et prémurs incluant les réseaux ?
Les éléments de gros œuvre incorporant des réseaux se multiplient, tant en voiles qu’en planchers. Mais je m’interroge : est-ce une manière de continuer à privilégier le principe constructif par voiles, qui a été le cheval de bataille de la filière béton ? ou est-ce que cela pourrait répondre à un besoin nouveau, mais de plus en plus marqué, de flexibilité, voire de réversibilité du bâti qui, lui, est intrinsèquement lié au principe architectonique « poteaux-dalle » ? Je suis persuadé que la quête poursuivie est celle de produits finis, dont l’usage est garanti du fait de leurs performances. Toutefois, cela passe par une meilleure maîtrise des usages, c’est-à-dire la prise en compte des attentes chaque fois particulières des utilisateurs. Un bâtiment est avant tout le support des activités de ses occupants. L’avenir est à une véritable industrialisation de la gestion des projets, bien plus exigeante que le seul recours à l’informatique. L’objet est maintenant de porter l’effort sur la « constructibilité », soit la capacité de chaque intervenant à « assumer ses anticipations » pour garantir la mise à disposition d’un ouvrage de bonne facture.